La récente propagation au niveau mondial de la pandémie de COVID-19 couplée aux mesures de quarantaine sans précédent ont gelé beaucoup d’opérations de cession-acquisition dans le monde entier.
Depuis plusieurs semaines maintenant, le marché des opérations de cession-acquisition (M&A) est perplexe et réagit à sa manière face à une situation exceptionnelle qui évolue chaque jour.
Si certaines opérations se poursuivent ou parviennent à se clôturer (principalement dans des secteurs les moins touchés comme la distribution alimentaire, les activités pharmaceutiques ou encore l’énergie), d’autres sont en suspens, reportées ou, tout simplement, annulées.
En outre, les incertitudes liées à l’absence de visibilité quant à la durée de la crise sanitaire et ses effets économiques et financiers (dont on sait déjà qu’ils seront très significatifs au vu des baisses d’activité à fin mars 2020) conduisent les entreprises à une très grande prudence et à suspendre leurs projets, lorsqu’elles le peuvent.
Les financements (bancaires ou via les fonds d’investissements) sont également de plus en plus difficiles, voire impossibles, à obtenir, depuis les décisions récentes de l’Etat visant à lutter contre la propagation du Covid-19.
Ce contexte troublé nous amène à nous interroger sur l’impact de la crise sanitaire et économique liée au Covid-19 sur les cessions d’entreprise, notamment en fonction du stade d’évolution des négociations en cours.
1.Au stade l’accord précontractuel (LOI/term sheet/MOU…)
Si le processus de cession a été initié et que des négociations sont en cours, les parties demeurent en principe libres d’y mettre fin à tout moment, notamment en considération des incidences que celles-ci estimeraient que pourrait avoir le Covid-19 sur l’opération et les attentes qu’elles ont par rapport à celle-ci.
Le fait qu’un accord de confidentialité ou une lettre d’intention, qui ne sont pas juridiquement des obligations de vendre et/ou d’acheter mais ont simplement pour objet d’organiser les négociations ou de formaliser l’accord des parties sur certains points, ait été régularisé et donc sans incidence et non engageant pour les acquéreurs comme pour les vendeurs.
Le Covid-19 peut dès lors être un motif permettant à une partie de mettre fin à des négociations même avancées, sans que sa responsabilité ne puisse être recherchée, sous réserve de respecter, si elles existent, les modalités prévues dans l’éventuel accord précontractuel.
2.Au stade où une promesse a été signée par l’acquéreur et le vendeur (Signing)
Si les négociations ont donné lieu à la régularisation par le vendeur et l’acquéreur d’une promesse, unilatérale ou synallagmatique, l’incidence du Covid-19 est susceptible d’être, en théorie, insusceptible de remettre en cause les engagements pris par l’une ou l’autre des parties.
En revanche, les promesses étant souvent assorties de conditions, notamment les conditions suspensives, celles-ci sont plus fortement susceptibles de ne pas se réaliser compte tenu des conséquences du Covid-19.
Tel sera notamment le cas d’une condition de financement par l’acquéreur, puisque les établissements de crédit sollicités sont en effet susceptibles de ne pas souhaiter financer l’opération au regard du contexte économique complexe ou que les fonds d’investissements ont désormais mis en stand-by tout nouveau projet.
La réalisation d’autres conditions suspensives risque également d’être délicate, telle que l’obtention d’un agrément légal faute de pouvoir réunir l’assemblée, l’obtention d’une autorisation administrative (SAFER, droit de préemption, levée d’inscriptions ou privilèges avant la cession, autres…) alors que l’autorité attributive compétente fonctionne au ralenti ou a fermé ses services non essentiels.
Enfin, une partie pourrait tenter de remettre en cause la signature du contrat, en se fondant sur divers mécanismes juridiques comme la force majeure, l’imprévision ou encore l’exception d’inexécution et ce, sous réserve que l’application de tels dispositifs ne soit pas expressément exclue par les parties dans la promesse.
La force majeure
Dans le cadre du Covid-19, certains acquéreurs pourraient être tentés de faire valoir qu’un événement de force majeure les empêche de remplir leurs obligations, en particulier dans les cas où ils n’ont pas obtenu leur financement.
En l’absence de définition contractuelle de la force majeure dans le contrat d’acquisition, les dispositions de l’article 1218 du Code civil s’appliqueront selon lequel : « Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».
S’agissant d’une cession de titres en contrepartie du paiement du prix, les cas où l’exécution n’est pas possible peuvent être liés à l’indisponibilité du système de paiement, ce qui n’est pas le cas actuellement.
D’autre part, la jurisprudence française est stricte en matière d’obligations de paiement. En effet, le simple fait qu’une obligation soit rendue plus onéreuse en raison de circonstances extérieures n’exonère pas le débiteur de son obligation de paiement sur le fondement de la force majeure.
Cependant, il n’est pas exclu que la jurisprudence évolue à l’avenir afin de tenir compte de la situation extrême à laquelle nous sommes confrontés.
Pour le moment, une prolongation de la période intermédiaire entre la signature et la réalisation de la cession pourrait être envisageable pour permettre aux parties de prendre les mesures appropriées afin d’être en mesure de réaliser la transaction.
L’imprévision
L’imprévision permet à une partie de demander à une autre partie d’engager des renégociations si l’exécution du contrat a été rendue extrêmement coûteuse en raison d’un changement de circonstances imprévisible par les parties lors de la conclusion du contrat.
Le régime juridique de l’imprévision prévu par le Code civil français s’applique automatiquement aux conventions (i) conclues à partir du 1er octobre 2016, et (ii) qui n’excluent pas expressément l’application de l’article 1195 du Code civil français à cette convention.
A notre sens, cette théorie a peu de chances d’aboutir face au Covid-19 dans les opérations de cession-acquisition. Cet article n’est en effet pas applicable aux cessions d’actions et n’est donc pas utile dans le cas présent, sauf bien sûr si les parties ont expressément convenu contractuellement de recourir à ce mécanisme (ce qu’en pratique, bon nombre de praticiens ont pris le soin d’exclure).
De plus, en cas d’échec des négociations, seul le juge aura le pouvoir de réviser ou de résilier la convention à la demande d’une partie. L’obtention d’une telle audience pourrait prendre plusieurs semaines dans les circonstances actuelles compte tenu de la suspension actuelle des activités judiciaires.
L’exception d’inexécution
En droit français, une partie est en droit de refuser d’exécuter ses obligations contractuelles si l’autre partie n’a pas exécuté ses propres obligations et que cette inexécution est considérée comme une violation grave de l’accord. Cela implique qu’une partie a déjà violé l’accord et que cette violation affecte substantiellement l’autre partie.
Dans une opération de cession-acquisition, dans la mesure où le vendeur respecte son obligation de transférer les titres de la cible à l’acheteur à la date de réalisation, il nous semble qu’il sera difficile pour l’acheteur d’invoquer l’absence d’exécution du vendeur, car le changement de situation de la cible entre la promesse et le closing est indépendant de l’obligation du vendeur de transmettre les titres de la cible à l’acheteur.
3.Au stade où l’acte réitératif a été signé par l’acquéreur et le vendeur (Closing)
Si la cession a été réalisée et que l’acte réitératif a été signé, la survenance après coup du Covid-19 n’est, en théorie, pas non plus susceptible d’avoir d’incidences.
En effet une fois signée, la cession n’a pas vocation à être remise en cause par la survenance d’évènements postérieurs, quels qu’ils soient, même s’ils ont des conséquences sur l’activité et/ou la santé financière de l’entreprise acquise.
Il appartient, en principe, au seul acquéreur de supporter ces conséquences, sans recours contre le cédant.
Diverses éventualités peuvent toutefois se présenter compte-tenu des effets que peut avoir le Covid-19 sur certaines obligations des parties, telles, à titre d’exemple, celles relatives au paiement du prix ou à l’accompagnement du cessionnaire post-cession.
Le Covid-19 peut avoir une incidence certaine sur le prix de cession devant être payé dans le cadre de l’opération, lorsque tout ou partie de son montant définitif dépend de la réalisation d’objectifs économiques ou financiers postérieurement à la cession (clause de complément de prix, clause de earn out…).
En outre, un nombre important de transactions étant conclues sur la base d’un prix provisoire déterminé sur la base des comptes de la cible disponibles au moment de la signature du contrat de cession (exemple dernier exercice clos), mis à jour à la date de réalisation de l’opération (comptes de cession) des discussions tendues sont à craindre sur la détermination des comptes de cession et la fixation du prix définitif étant donné l’impact de COVID-19 sur la situation financière de nombreuses entreprises.
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S’il est aujourd’hui trop tôt pour tirer des conclusions de toutes les conséquences qu’aura le Covid-19 sur l’économie et le système financier, il est manifeste que le secteur des fusions-acquisitions est fortement touché. Le droit français, plus favorable aux vendeurs dans l’environnement actuel, notamment en ce qui concerne la sécurité des transactions et leur valorisation, semble être amené à évoluer afin de mieux protéger les acquéreurs à l’avenir.
Cette crise sans précédent aura très certainement un impact à long terme sur la manière dont les opérations de cession-acquisition seront négociées lesquelles deviendront de fait, de plus en plus complexes.